30 Juin 2017
Le Courrier du Maghreb et de l'Orient, Juin 2017
« Le but de tous les vrais Musulmans, c’est le Califat ! »
Cette simple phrase, relevée au hasard sur les réseaux sociaux, résumerait-elle –fût-ce d’une manière assez abrupte- le message délivré au Prophète Mohamed, dans sa dimension politique en tout cas ?
C’est ce que laisse penser la lecture, qu’elle soit historique ou religieuse, du seul document fondateur de l’Islam, du seul référent considéré comme authentique par les « Croyants », les Musulmans, la seule source où est précisée la « volonté de Dieu » : le Coran.
Et ce indépendamment des conditions dans lesquelles les paroles du Prophète ont été conservées, par la tradition orale, écrites parfois sur divers supports et à différents moments de sa vie, ou de la manière dont le Coran a été assez tardivement compilé.
Car c’est bien le point de vue du « Croyant » qui importe en la matière ; et c’est donc le Coran dans sa forme finale qu’il convient de considérer pour comprendre l’Islam et en définir les objectifs, une forme définitive, universelle et intemporelle, comme le Coran lui-même le stipule, que les « Croyants » reçoivent comme la parole de Dieu révélée et comme la vérité en fonction de laquelle ils agissent (ou devraient agir) dans le monde. Ce Coran-là (outre les Hadiths qui ont conservé la mémoire des actes du Prophète et de ses compagnons) est le seul référent tangible et incontestable qui (devrait) fonde(r) l’action des Musulmans ; et toute autre considération qui serait en contradiction avec le texte sacré ne serait qu’hérésie vouée aux gémonies.
Le Califat, donc, comme but ultime de tout « Croyant » ? C’est du moins ce que révèle incontestablement une lecture neutre de ce texte, dont plusieurs pans se déclinent tel un véritable programme politique à mettre en œuvre sur le long terme, très éloigné des assertions d’un Islam « modéré » qui prévaut un peu partout aujourd’hui, tant dans le Monde arabe qu’en Occident, et qui réaménage le livre saint en prétextant d’une « réinterprétation nécessaire » de la parole divine.
L’Islam est incontestablement politique
D’un point de vue strictement historique, la naissance de l’Islam au VIIème siècle a pour contexte le milieu tribal des entités bédouines, belliqueuses à l’extrême et divisées, politiquement et religieusement, polythéistes, jalouses chacune de ses avantages commerciaux et territoriaux liés au cadre hostile et pénible du désert de la Péninsule arabique ; et l’objectif avoué de son fondateur, Mohamed, transparaît clairement tout au long du Coran, mais aussi des Hadiths qui rapportent les faits et gestes du Prophètes et des premiers Musulmans, à savoir l’unification des tribus par le biais d’une religion que le « messager de Dieu » avait apprise des communautés chrétiennes et juives établies dans le nord de la péninsule et dont il s’est inspiré pour créer un moyen de coercition moral et social.
En effet, le caractère théocratique de l’Islam centralise l’autorité autour du représentant d’un dieu unique dont la vénération constitue la trame et la finalité de l’existence. L’Islam impose ainsi à la fois un code civil unique, une foi unique, un comportement sociétal unique, auxquels l’individu ne peut échapper sans se mettre de facto en marge de la société et devenir un « autre », celui qu’il faut « réformer » et par la force, par la violence si nécessaire.
L’Islam ne se présente pas à travers son texte fondateur comme une philosophie ou une spiritualité, conception islamique propre au Soufisme qui constitue indéniablement une dérive qui fut fonction de surinterprétations ou de mésinterprétations arbitraires du texte, parfois empreintes de sophistique ; l’Islam est tout au contraire cartésien, légaliste, procédurier, et en tout cela totalitaire.
Il était dès le départ évident que, dans le contexte évoqué, ce projet politique ne pourrait s’accomplir sans un recours régulier à la force, et le Coran le justifie dès lors sans la moindre équivoque, tandis que, sur les plans social et sociétal, il impose des lois rigoureuses et des règles drastiques dont le but, déclaré dans plusieurs versets du Coran, est de structurer la société et de forger une identité commune et de canaliser à la fois les velléités individualistes et le sentiment tribal d’appartenance à un groupe séparé du reste de la communauté. Bref, il s’agit d’inventer « l’Oumma », la « Communauté des Croyants » (un objectif qui, manifestement, n’a pas été atteint, les différentes écoles islamiques s’étant très tôt déchirées en fonction des aspirations politiques des pouvoirs locaux et du contexte socioculturel des régions dans lesquelles elles se sont développées).
C’est ainsi que, si l’Islam s’impose d’abord par la persuasion, malheur à ceux qui ne se laissent pas convaincre, car la violence, contre l’individu, ou la guerre, contre les peuples, suit inévitablement l’approche « amicale » par le verbe ; le processus est intrinsèque à la « révélation » et, en dépit de tout « effort de réinterprétation, nécessaire, de la parole divine », le texte est à ce propos sans ambiguïté et les Musulmans ne peuvent échapper à l’injonction céleste, pas même au XXIème siècle.
Mohamed, chef de guerre et chef d’État
Entre l’Hégire (622), qui marque la fondation de l’Islam, et la mort du Prophète Mohamed (632), les campagnes militaires (« gazwa » est le mot arabe qui les désigne dans le Coran ; au sens propre : « conquête » ou « invasion ») se sont multipliées avec un rythme accru au fur et à mesure que la nouvelle religion gagnait du territoire.
Dès les premiers moments de l’Islam, Mohamed a ordonné la guerre, et d’abord contre la tribu des Qorayshites qui contrôlait La Mecque, principale ville du centre de la Péninsule arabique et cœur religieux du polythéisme arabe où se dressait la Kaaba, bâtiment qui renfermait les statues des dieux des différentes tribus. Or, c’est cette ville de premier plan, politiquement et économiquement, que le Prophète avait désignée comme « ville sainte de l’Islam ». L’écrasante majorité des Mecquois n’adhérant pas à l’Islam, attachés à leur prérogatives en matière religieuse et aux énormes avantages commerciaux que leur position leur procurait, les Musulmans ont donc été « contraints » d’user de la violence et de mener plusieurs campagnes militaires pour « conquérir » et « envahir » La Mecque, dont ils finiront par s’emparer en janvier 630.
Maints exégètes, qui tentent de démontrer que la communauté des premiers adeptes de l’Islam, « religion non violente », ont eu recours à la guerre uniquement dans un cadre « défensif » considèrent que cette campagne fut nécessaire, de par la faute des Qorayshites, qui refusaient l’accès de La Mecque aux pèlerins musulmans. Mais, outre qu’il y a là une forme de sophisme évident, la conquête de La Mecque ne fut pas le seul fait d’armes des Musulmans, qui, depuis la fuite de Mohamed à Médine, attaquaient régulièrement, avec plus ou moins de succès, le commerce caravanier mecquois. Une pratique de la razzia d’ailleurs assez répandue dans le comportement des tributs bédouines de l’époque. Certes, l’exégèse voudrait que ces razzias fussent elles aussi « défensives », puisqu’elles auraient répondu à la confiscation par les autorités qorayshites des biens des partisans mecquois du Prophète qui avaient fui avec ce dernier.
Ces campagnes, pour « défensives » qu’on puisse les prétendre, ne se sont pas moins conclues pour autant par l’expansion territoriale d’un « État islamique », dont le centre politique fut d’abord Médine, puis La Mecque, et dont le souverain autocrate était le Prophète Mohamed, agissant, commandant et ordonnant au nom de Dieu et en vertu du Coran, qu’il composait au fur et à mesure que se développait son royaume, légiférant, jugeant et ordonnant par ce biais, dictant sourate après sourate, en abrogeant même certaines des paroles divines, lorsqu’elles ne correspondaient plus aux impératifs politiques, militaires ou sociaux du moment.
Ainsi en va-t-il ne nombreux passages du Coran qui réglementent la guerre avec précision et codifient les comportements à adopter envers les prisonniers, les non-combattants, les biens privés, mais aussi les questions de succession des guerriers décédés, d’héritage, etc.
Les Hadiths rapportent que Mohamed avait mis en place un réseau d’espionnage efficace qui lui permettait de préparer ses campagnes, dont il prenait généralement lui-même le commandement : si le commandement de quelques batailles a été laissé au soin de proches en qui il avait confiance, notamment de son oncle Hamza, le Prophète a directement conduit près d’une quinzaine de guerres.
Mais la liste des expéditions armées ordonnées par Mohamed est longue et il n’est pas utile d’en faire état au-delà de quelques exemples à dessein d’illustrer le propos, et de faire mention dans cette perspective de la guerre menée en 627 contre la tribu juive des Banu Qorayza, qui s’étaient alliés aux Qorayshites, laquelle se termina, après un siège d’un mois, par l’anéantissement de la tribu ennemie et la décapitation de plusieurs centaines de ses guerriers… Ou bien la bataille de Mutah, village chrétien du nord de la péninsule, qui fut envahi en 629, où l’armée de Mohamed défit le corps expéditionnaire byzantin envoyé à la rescousse des Ghassanides, tribu arabe chrétienne vassale de Constantinople ; très satisfait de la victoire, le Prophète ordonna plusieurs jours de fête et décora le commandant de l’armée, Khalid Ibn al-Walid, du titre éloquent de « Seiful Allah » (« l’Épée de Dieu »).
Plus simplement encore, il suffirait de faire état du livre de l’historien arabe Abdullah Muhammad al-Waqidi, lequel rédigea au VIIIème siècle une « vie du Prophète », sous le titre évocateur d’Al-Kitab al-maghazi (Le Livre des batailles)…
Mohamed sut par ailleurs habilement exploiter le contexte politique bédouin et jouer sur les alliances intertribales et, inversement, sur les querelles ancestrales pour contrer ses ennemis. Ainsi en fut-il, entre autres, des accords passés avec les tribus juives de Médine, avant qu’elles fussent par la suite expulsées du Califat naissant.
Mohamed n’est pas un prophète dont « le royaume n’est pas de ce monde » et qui sépare « ce qui est à César et ce qui appartient à Dieu » ; il a passé sa vie entière à soumettre les tribus de la Péninsule arabique dont le territoire, à sa mort, était unifié en un État centralisé où le pouvoir politique et la religion...