17 Mai 2010
Espagne - Les honneurs pour le marquis de Samaranch, le désaveu pour le juge Garzón (L'Echo. Le quotidien de l'économie et de la finance, 18 mai 2010, et El País, 24 mai 2010) - Texte intégral
On le savait : l’Espagne a bien du mal à affronter son passé et à regarder en face les années du franquisme. Mais les victimes semblent désormais déranger bien plus que les bourreaux.
Ainsi, en avril dernier, le marquis Juan Antonio de Samaranch, haut fonctionnaire du gouvernement franquiste, qui obtint comme fin de carrière la présidence du CIO, recevait les honneurs de funérailles quasi-nationales.
Par contre, pour avoir eu le courage de braver l’interdit en réclamant l'ouverture des charniers de l’époque de la guerre civile, où attendaient les victimes de ce même gouvernement franquiste, le juge espagnol Baltasar Garzón s’est vu suspendre de ses fonctions par la magistrature de son pays.
De toute évidence, les vieux souvenirs dérangent encore et, pour beaucoup, il vaudrait mieux laisser les morts là où ils sont, dans les oubliettes de l’histoire. Mais peut-être la guerre civile n'est-elle pas tout à fait terminée...
Rétrospective : le 16 février 1936, le « Frente popular », l’union des gauches, remportait les élections et obtenait une majorité au parlement de la république espagnole, décidé à rénover cette Espagne qui, par bien des aspects, n’était toujours pas entrée dans le XXème siècle. Pour des millions d’ouvriers misérables et de paysans pauvres, exploités sur les grands domaines de la noblesse et de la bourgeoisie, naissait alors l’espoir de profondes réformes économiques et sociales.
Mais l’opposition des possédants ne se fit pas attendre : le 18 juillet, ce fut le coup d’Etat des généraux, dont Francisco Franco allait prendre la tête. Après trois années de guerre civile, les rebelles, soutenus par Hitler et Mussolini et, secrètement, par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, parvinrent à écraser la république, qui n’avait pu, quant à elle, obtenir de l’aide que de Staline et de l’Union soviétique...
Le franquisme n’a pas promu une idéologie particulière ; ce ne fut pas du fascisme, ni du nazisme. Il s’est tout simplement agi de la réaction, brutale et sans pitié, de ceux qui avaient tout et ne voulaient pas que cela change : une dictature de quarante ans qui figea la société et empêcha toute avancée sociale en Espagne, et qui commença par un long cortège de brimades et de vexations pour les partisans de la république défunte, d’emprisonnements, de déportations et d’exécutions sommaires. La guerre civile avait saigné l’Espagne à blanc, mais ce n’était pas fini ; les franquistes n’avaient-ils pas promis de tuer autant de « rouges » qu’il y a de fleurs en mai ? Le sang de près de deux-cent milles républicains devait encore couler...
Le Charnier (Pablo Picasso)
Ce fut aussi l’exil, surtout vers la France et la Belgique, pour les ministres du Front populaire, bien sûr, et pour près d’un demi-million de ceux qui avaient défendu la république et qui, pour la plupart, ne reverraient jamais l’Espagne.
Et les crimes du franquisme ne s’arrêtèrent pas là. La dictature continua de se débarrasser des opposants dans les décennies qui suivirent. Ce furent, par exemple, l’assassinat du leader socialiste Tomás Centeno Sierra, mort sous la torture en 1953, ou celui du communiste Julián Grimau García, fusillé en 1963…
A la mort du Caudillo, en 1975, la démocratie fut rétablie, mais à deux conditions : d’une part, ce sera la monarchie parlementaire, et non pas la république ; d’autre part, il n’y aura pas de procès du franquisme, ni aucune poursuite à l’encontre des putschistes et des tortionnaires qui les ont épaulés, ce qui sera confirmé par une loi d'amnistie, en 1977.
Certains protesteront et prétendront que, des victimes, des exactions, il y en eut dans les deux camps... Mais, plus sérieusement, ce ne furent quand même pas les républicains qui renversèrent la démocratie par un coup d’Etat et qui envoyèrent des milliers d’opposants au peloton d’exécution…
Jean-Jacques Rousseau affirmait : « il n’y a pas de liberté sans justice ». Baltazar Garzón n’a d’autre objectif que de rendre sa liberté à l’Espagne.
Qui a dit que ces vieilles histoires de la guerre civile n’intéressaient plus les Espagnols ?
Lien(s) utile(s) : L'Echo 1 et L'Echo 2 - El País.
Coupure de presse : (L'Echo) et (El País).
Voir aussi : Revista de prensa internacional-Palacio de La Moncloa-Gobierno de España et Radiocable.
Lire aussi : Juan Anatole BRANCO, La démocratie espagnole contre le juge Garzón (Libération, 18 mai 2010) et Prudencio GARCÍA, Complejidad y simpleza del'caso Garzón (El País, 26 de mayo de 2010).
Voir également : "Los Caminos de la Memoria" (un film de José-Luis PEÑAFUERTE).